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J’ai remarqué qu’il y avait une vraie demande en matière de témoignages de personnes non-binaires. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de témoignages en français, et ce d’autant plus que c’est un concept qui peut être difficile à cerner.
C’est pour cette raison que j’ai décidé d’écrire mon propre témoignage, qui sera peut-être un peu décousu et incomplet mais qui j’espère en aidera certains.
Déjà, comment est-ce que je me définis ? Personnellement, j’en reste à l’appellation générale non-binaire. Si vous ne connaissez pas ce terme, au-delà du fait que ce témoignage n’est pas forcément un bon endroit pour commencer à découvrir la notion de non-binarité, je le définis tout de même : être non-binaire, c’est avoir un genre qui n’est ni « homme » ni « femme » - qui sort de cette binarité homme-femme. (Je rappelle aussi pour ceux qui débutent que le genre n’est pas la même chose que le sexe, mais ce n’est pas l’endroit pour l’expliquer.)
Comme on parle de genre, on parle donc de ressenti. Eh bien en termes de ressenti, j’ai toujours su que j’étais non-binaire, bien avant de pouvoir mettre un mot dessus. Comme d’autres personnes non-binaires, j’étais persuadé.e que mon expérience du genre était la même que tout le monde, je faisais de mon cas une généralité. Pour moi donc, il n’y avait pas vraiment de genre. « Mon esprit n’est pas un esprit de fille ou un esprit de garçon, c’est juste le mien » (c’est mot à mot ce que je pensais quand j’étais enfant, comme quoi j’étais tout de même déjà conscient.e qu’on essayait de m’imposer un genre binaire, en l’occurrence d’être une fille puisque c’est mon genre assigné.)
Malgré tout, je sentais bien que je n’étais pas une fille. Et attention maintenant, ça va devenir subtil : je vais parler d’expression de genre et de son lien à la non-binarité, tout en sachant pertinemment que genre et expression de genre ne sont pas liés. Pour résumer, je sais que j’aurais pu être une fille même en n’aimant pas les robes ou les poupées. Mais mon rapport aux jeux et activités « de petites filles » est plus complexe que ça. Je rejetais le rose, les jupes et la corde à sauter parce que je savais au fond de moi que je n’étais pas une fille et que je refusais d’adopter les codes associés.
Pour le dire simplement : je ne suis pas non-binaire parce que j’étais un garçon manqué. J’étais un garçon manqué parce que je suis non-binaire.
Il ne faut pas ignorer que les enfants comprennent très vite les codes de l’expression de genre. Un enfant peut aimer un jouet pour le jouet en lui-même, mais il peut aussi l’aimer pour ce qu’il représente (« je joue avec des voitures parce que je sens que je suis un garçon et qu’aimer les voitures fait de moi un garçon, même manqué »).
Voilà pour l’enfance. De toute façon, jusqu’à l’adolescence, on accepte assez bien les filles qui « jouent aux garçons ». Une fois arrivé.e au collège-lycée, et pour le dire rapidement, j’ai beaucoup souffert de ne pas correspondre aux codes de la féminité car on me le reprochait énormément, souvent de façon cruelle. Cela a duré jusqu’à la fin de mes années en classe préparatoire, où j’ai compris (d’une façon un peu floue) que si je m’appropriais les codes féminins, ça ne changerait pas qui je suis mais ça pourrait me faciliter la vie. C’est donc ce que j’ai fait. J’ai étouffé mon envie de m’habiller de façon neutre ou « masculine » et j’ai commencé à me déguiser en fille.
Evidemment ça a marché, et tout le monde était content. Enfin moi pas vraiment, mais disons que ça pouvait aller. Et puis j’étais (je suis) mince après des années de troubles alimentaires (liés au genre ? à l’apologie de la maigreur ? à mes parents ? who knows), donc mon physique est bien accepté socialement.
Aujourd’hui, je continue d’adopter au quotidien un passing féminin qui me convient car il est simple et confortable socialement, et que j’ai appris à aimer construire une « jolie tenue ». [Le passing est la façon dont les autres vous perçoivent. Si vous avez un passing féminin, c’est que les autres vous perçoivent comme une fille, vous disent « elle » etc]. Mais depuis une dizaine de mois, j’ai accepté que je n’avais jamais été une fille et que j’étais non-binaire. J’ai acheté un binder, qui est un haut compressif permettant d’avoir un torse plat, et j’ai aussi acheté des vêtements au rayon homme (ou plutôt garçon car je ne suis pas bien grand.e). Parfois, j’essaie d’avoir un passing masculin – mais bien sûr pas au travail. Je jongle entre les deux tenues et globalement j’y trouve un équilibre.
Je vais conclure par une petite liste des choses que tout de même je regrette :
Je regrette que le neutre n’existe pas en français et que chacune de mes interactions sociales soit marquée par des expressions genrées (elle, il, monsieur, madame, mademoiselle…). J’aimerais utiliser le pronom iel au quotidien.
Je regrette que le genre soit si important dans notre société et qu’il soit possible de se faire agresser par des inconnus juste parce qu’ils n’ont pas pu déterminer notre genre au premier coup d’œil.
Je regrette de ne pas pouvoir me présenter par mon prénom choisi, qui choquerait les gens car traditionnellement masculin.
J’espère que nous pourrons faire évoluer les choses. Si vous avez des questions, des interrogations sur votre genre ou la non-binarité, vous pouvez m’écrire :)